mercredi 9 septembre 2015

Le Tmaknine ou L'usage de la langue comme accessoire de mode


Le Maghreb a vu défiler grand nombre de colons, qui y ont laissé entre autres empreintes, celle indélébile de la langue. En Algérie, comme nous le savons, le dernier en date était la France. L'œuvre civilisatrice a légué à ce pays des traditions qui sont à présent ancrées dans le patrimoine telle que la bureaucratie et autres trésors. La francophonie dont l'usage varie selon les époques, en fait partie.

Depuis que la langue de Molière ne tient plus qu'une place discrète sur les bancs des écoles, on la retrouve en force dans certaines discutions mondaines où elle tente de renaître de ses cendres. C'est comme accessoire de mode qu'elle a réussit à survivre dans un monde où l'artifice est roi, et où seule la langue de bois à droit de cité. 

Il existe un phénomène, dont je ne connais pas la traduction exacte en français, qui est nommé tmaknine, et qui apparait majoritairement chez la gente féminine. Jadis limité aux milieux underground, il est à présent adopté par de plus en plus de jeunes femmes et fait partie d'une panoplie d'accessoires au même titre qu'une coupe de cheveux ou une tenue vestimentaire. C'est une forme de discours assez précieux qui revêt une intonation spéciale. Cette dernière est puisée dans les dialectes qui ont pour caractéristique principale le raffinement. Il y a le parlé algérois ou le parlé tlemcenien. Il suffit de trouver une trace dans son arbre généalogique, se rapprochant de près ou de loin de l'une de ces régions, pour justifier son usage dans une ville comme Oran , sans quoi le risque de paraître ridicule est inévitable.

Le dialecte oranais à vu naître des mots composites, utilisés par tout le monde sans complexe. Les noms de lieux par exemple, autrefois en français, ont survécu sous une nouvelle forme, seule leur prononciation à changé: Tirigou pour le quartier de Victor Hugo ou bien Sinia pour la ville d'Es-Sénia. Ici encore, pour se distinguer en société il faut veiller à bien prononcer ces noms, sous peine de paraître vulgaire et sans instruction.

En effet, la phonétique tient une place prépondérante dans le mouvement du Tmaknine. Les sons n'existant pas dans la langue maternelle sont bien mis en valeur car il montrent à eux seuls la maîtrise du français. Le [ ã ] de croissant sera fièrement arboré tel un joyaux dans une discussion. Gare à celle qui confond [ã] et [õ], erreur monumentale.

Le Tmaknine laisse très peux de place à l'arabe, si bien que lorsqu'on est confronté à une situation qui en exige le recours, l'habitude fait que l'on adopte une intonation française. conséquence désastreuse de cette pratique: la langue maternelle est sacrifiée lorsque ses locuteurs se mettent à la parler avec un accent étranger . Cette dernière ayant sa propre sonorité et n'a donc nul besoin de ce genre d'artifices pour exister!

Si les adeptes du Tmaknine mettaient plus d'ardeur dans la réflexion et la construction de leurs idées, elles n'auraient certes plus le temps pour se soucier de leur élocution, mais on assisterait là à la naissance d'un nouveau mouvement de pensée !