Le Maghreb a vu défiler grand nombre de colons, qui y ont laissé entre autres
empreintes, celle indélébile de la langue. En Algérie, comme nous le savons, le dernier
en date était la France. L'œuvre civilisatrice a légué à ce pays des traditions qui sont à
présent ancrées dans le patrimoine telle que la bureaucratie et autres trésors. La
francophonie dont l'usage varie selon les époques, en fait partie.
Depuis que la langue de Molière ne tient plus qu'une place discrète sur les bancs
des écoles, on la retrouve en force dans certaines discutions mondaines où elle tente de
renaître de ses cendres. C'est comme accessoire de mode qu'elle a réussit à survivre
dans un monde où l'artifice est roi, et où seule la langue de bois à droit de cité.
Il existe un phénomène, dont je ne connais pas la traduction exacte en français, qui est nommé tmaknine, et qui apparait majoritairement chez la gente féminine. Jadis limité aux milieux underground, il est à présent
adopté par de plus en plus de jeunes femmes et fait partie d'une panoplie d'accessoires
au même titre qu'une coupe de cheveux ou une tenue vestimentaire. C'est une forme de
discours assez précieux qui revêt une intonation spéciale. Cette dernière est puisée
dans les dialectes qui ont pour caractéristique principale le raffinement. Il y a le parlé
algérois ou le parlé tlemcenien. Il suffit de trouver une trace dans son arbre
généalogique, se rapprochant de près ou de loin de l'une de ces régions, pour justifier
son usage dans une ville comme Oran , sans quoi le risque de paraître ridicule est
inévitable.
Le dialecte oranais à vu naître des mots composites, utilisés par tout le monde sans
complexe. Les noms de lieux par exemple, autrefois en français, ont survécu sous une
nouvelle forme, seule leur prononciation à changé: Tirigou pour le quartier de Victor
Hugo ou bien Sinia pour la ville d'Es-Sénia. Ici encore, pour se distinguer en société il
faut veiller à bien prononcer ces noms, sous peine de paraître
vulgaire et sans instruction.
En effet, la phonétique tient une place prépondérante dans le mouvement du Tmaknine.
Les sons n'existant pas dans la langue maternelle sont bien mis en valeur car il montrent
à eux seuls la maîtrise du français. Le [ ã ] de croissant sera fièrement arboré tel un
joyaux dans une discussion. Gare à celle qui confond [ã] et [õ], erreur monumentale.
Le Tmaknine laisse très peux de place à l'arabe, si bien que lorsqu'on est confronté à
une situation qui en exige le recours, l'habitude fait que l'on adopte une intonation
française. conséquence désastreuse de cette pratique: la langue maternelle est sacrifiée
lorsque ses locuteurs se mettent à la parler avec un accent étranger . Cette dernière
ayant sa propre sonorité et n'a donc nul besoin de ce genre d'artifices pour exister!
Si les adeptes du Tmaknine mettaient plus d'ardeur dans la réflexion et la construction
de leurs idées, elles n'auraient certes plus le temps pour se soucier de leur élocution, mais
on assisterait là à la naissance d'un nouveau mouvement de pensée !